Assiette: Sceaux, décor d'oiseau chimérique, époque 1763-1773, col. G. lefebvre.


Faïencerie de Sceaux



 Les origines
La manufacture de Sceaux se rattache à la grande et à la petite histoire. Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé, petite-fille du grand Condé et épouse de Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan, se voit dans l’obligation, en 1720, de se retirer avec son époux dans son château de Sceaux, après le complot de Cellamare, ourdi contre le régent et dans lequel ils se trouvent compromis. Une véritable cour s’installe à Sceaux.

Les beaux esprits s’y retrouvent et le ton rivalise avec celui de Versailles. Suivant la mode de l’époque — et comme l’avait fait avant elle le prince de Condé à Chantilly ou le duc de Villeroy à Mennecy — la duchesse du Maine accorde sa protection à Louis-François de Bey et à Jacques Chapelle.

Ces deux hommes venaient de fonder, en 1748, une société ayant pour but de fabriquer de la porcelaine.


Louis-François de Bey, architecte et entrepreneur de bâtiments, exploite, depuis 1739, une poterie rue des Imbergères, tout près du château. En 1741, la duchesse du Maine lui a vendu un terrain, dit « le trou aux glaises », d’où il fait extraire les argiles nécessaires au fonctionnement de son entreprise. Quant à Jacques Chapelle, sa vie s’apparente à un véritable roman d’aventures. Il a roulé sa bosse pendant près de dix ans, visitant les principales manufactures d'Europe. Jacques Chapelle peintre et sculpteur, aventurier s’il en fut, mais habile homme, un an après son installation à Sceaux, sort des fours des pièces en porcelaine tendre. Toutefois, le privilège draconien de la manufacture de Vincennes l'oblige à interrompre aussitôt cette production. Ayant plus d’un tour dans son sac, il se met à faire de la « faïence japonnée », appellation, qui couvrait à la fois la fabrication d’une belle faïence de petit feu et celle d’une porcelaine tendre clandestine.


En 1759, Louis-François de Bey meurt, laissant Jacques Chapelle unique propriétaire de la manufacture qu’il conservera jusqu’en 1772, date de la vente à Richard Glot. A la mort de la duchesse du Maine, en 1753, son fils, le Conte d’Eu, lui succède. Celui-ci ne laissant pas d’héritier, le domaine passe à son cousin germain, le duc de Penthièvre, puis au gendre de celui-ci, le duc de Chartres.

La faïence de Sceaux comprend trois grandes époques 1749-1763 : Jacques Chapelle assure le succès de la manufacture. 1763-1772 : Jacques Chapelle retourne à Paris et loue la faïence à deux de ses meilleurs artistes, le peintre Joseph Jullien et le sculpteur Symphorien Jacques. 1772-1794 : Richard Glot dirige la manufacture. Il la vend en 1794 à Pierre-Antoine Cabaret, qui ne fabriquera au XIXè siècle que de la faïence blanche.


Les années 1749 à 1763 correspondent à la grande veine créatrice de Jacques Chapelle. Il fait d’abord appel à de nombreux peintres, mouleurs, tourneurs et sculpteurs qui avaient déjà exercé leur art dans d’autres fabriques renommées. Parmi les peintres, figurent Charles-François Becquet, Vincent Taillandier et Vavasseur aîné, venus de la manufacture de Vincennes. Ils y retourneront après avoir fait un séjour d’un an à Sceaux. Dès 1754, Joseph Jullien, qui deviendra chef de l’atelier de peinture, travaille à Sceaux. On voit aussi arriver Jean Roth de Strasbourg, ainsi que le sculpteur Jean Louis, élève de Lanz, de l’atelier des Hannong.


Un goût rocaille exubérant, proche de celui des porcelaines de Saxe, domine les formes de cette époque. La pâte fine et malléable facilite non seulement les ornements en relief, mais encore les rondes-bosses : animaux et personnages.

Le décor floral, d’abord stylisé, au bouquet triangulaire et aux couleurs douces et quelque peu ternes, cède le pas au traitement de fleurs naturalistes et à une composition plus libre et plus aérée. La palette, éclatante, comporte un carmin rosé, un bleu lumineux, un jaune dense et un vert tantôt clair, tantôt foncé. Si, par leur spontanéité et leur fraîcheur, les bouquets rappellent ceux de Marseille, leur composition— où la rose jouxte la tulipe — et leur facture sont analogues aux bouquets strasbourgeois.

Certaines particularités s’affirment : bordures de feuilles de choux, de châtaignier, bordures déchiquetées.


L’art du trompe-l’œil est poussé à l’extrême, suivant ici aussi l’enseignement de Strasbourg : noix, olives, œufs durs moulés et posés sur des assiettes, terrines en forme de canard, de coq, de choux. Certaines fontaines ou coupes représentent un véritable tour de force plastique, digne de la porcelaine de Meissen ; les statuettes sont de même très proches des œuvres de l'Est. Avec l’intervention de Joseph Jullien et Symphorien Jacques, les peignés bleus, d’un bleu dit bleu de France, accentuent les bords déchiquetés. Les fleurs chatironnées de Jacques Chapelle, semblables à celles de Paul Hannong, d’abord timides, deviennent de plus en plus audacieuses, jusqu’à se raidir à l’époque Louis XVI. Les fleurs fines de la première époque, un peu naïves, continuent leur évolution, forment de merveilleux bouquets et s’assagissent en dessinant des guirlandes.


Les nouveaux thèmes décoratifs se confondent avec ceux que Joseph Jullien peignait sur la porcelaine tendre de Mennecy et de Bourg-la-Reine, où Jacques et lui iront s’installer en 1772 à l’expiration du bail de Sceaux.
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